Carte blanche à Laure Marville et Thomas Liu Le Lann

Lun – Dim 11h00 – 23h00, Jeux Olympiques
Lun – Mer 14h00 – 22h00 / Jeu – Dim 11h00 – 22h00, Jeux Paralympiques

Deux installations d'artistes genevois investiront les lieux de la Maison Suisse. Cette « Carte Blanche », proposée par la République et canton de Genève en collaboration avec Présence Suisse, sera exposée de manière permanente pendant toute la durée de la manifestation. Laure Marville s'exprime principalement à travers la linogravure sur tissu ou papier et présente une série de toiles recto verso jouant sur l'ambivalence entre la référence à un objet public et puissant, le drapeau, et l'évocation d'un univers domestique et intime. Thomas Liu Le Lann réalise une installation vidéo sportive, « GYM », qui mets en scène un groupe de participants aux compétences techniques et physiques limitées, oscillant entre improvisation et montage inspiré du langage télévisuel sportif.

Notice sur l'artiste Laure Marville (1990, Lausanne) et son oeuvre auprès de la Maison Suisse

Laure Marville vit et travaille à Genève.

« Feux Follets », 2024

Sept tentures de dimensions variables

Linogravure, teinture, couture sur coton

Laure Marville est une artiste lausannoise formée à la HEAD - Genève, Haute école d'art et de design, dont les engagements se manifestent d'abord dans les techniques et les matériaux utilisés, avant de se confirmer dans les formes et les contenus de ses œuvres. En effet, à l'heure où dans notre société de frénésie consommatrice on cherche à produire toujours plus et toujours plus vite, l'artiste fait délibérément le choix de la lenteur, en revendiquant le tout fait main et les techniques artisanales. Mais cette résistance à la rentabilité économique n'est pas la seule à sous-tendre le positionnement de l'artiste. En choisissant de travailler le plus souvent sur et avec le textile, elle déplace des pratiques, longtemps considérées comme féminines, de la sphère domestique à la sphère publique, remettant ainsi en question des rapports d'autorité qui ont longtemps régenté et la société et les arts. Car comme d'autres artistes femmes depuis plusieurs décennies, Laure Marville fait du textile un support de revendication féministe, pour dénoncer le sexisme du monde de l'art et de son marché. Ce faisant, ce sont aussi les traditionnelles hiérarchies entre beaux-arts et arts appliqués, ainsi qu'entre art dit savant et art populaire qui sont mises à mal. À cette posture correspondent des références variées, que l'artiste décloisonne et entremêle, pour enrichir ses œuvres de plusieurs niveaux de lecture. Et la complexité caractérise également sa méthode de travail, par la superposition de couches réalisées en techniques différenciées, qui mélangent éléments figuratifs, motifs abstraits et textes.

Dans les sept tentures conçues pour la représentation helvétique lors des Jeux Olympiques de 2024, intitulées « Feux follets », l'artiste joue avec les images du pouvoir. Celle du drapeau d'abord, qui fait référence à la nation, clin d'œil à la Maison Suisse où elles sont installées. Sauf que la symbolique claire et froide des emblèmes nationaux se mue ici en images complexes et sensibles. Celle des feux d'artifice ensuite, longtemps utilisés comme manifestation de force masculine et de richesse, avec une vocation de propagande, faisant écho au contexte des Jeux Olympiques, à leur aspect officiel, leur cérémonial et aux célébrations qui les accompagnent. L'artiste s'est inspirée de gravures sur bois des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, qui reproduisaient les feux organisés par la Cour de France lors des festivités royales, afin de les diffuser auprès de la population.

Sur le plan technique, tout a été réalisé manuellement par l'artiste. Le coton naturel, récupéré, est d'abord plié, noué et teint par des bains successifs dans des encres différentes, ou coloré directement au pinceau dans un geste plus pictural. Puis après séchage, le tissu est imprimé à la main avec des tampons faits en linogravure, tantôt traditionnellement sur le dessus, tantôt de manière inversée, avec la plaque au-dessous, produisant des impressions plus floues. Ces opérations constituent des fonds que l'artiste découpe ensuite et réassemble comme un patchwork. Enfin, des textes viennent encore enrichir ces strates. Ceux-là sont librement inspirés par deux autrices romandes chères à l'artiste, Corinna Bille et Alice Rivaz, évoquant de manière poétique l'identité suisse et le rôle de la femme.

Il en résulte des tentures colorées, tout en courbes sensuelles, qui ne dictent rien, mais nous laissent joyeusement libres au sein de cette polyphonie.

Notice sur l'artiste Thomas Liu Le Lann (1994, Genève) et son oeuvre auprès de la Maison Suisse

Thomas Liu Le Lann vit et travaille à Genève.

« GYM », 2024

22’. Vidéo HD, couleurs, boucle

Avec : Alfredo Aceto, Grandee Dorji, Théa Giglio, Thomas Liu Le Lann, Anne Minazio, Arttu Palmio et Clara Roumégoux

Photographie : Thomas Liu Le Lann, Alfredo Aceto, Grandee Dorji, Clara Roumégoux

Développement chorégraphique : Arttu Palmio

Montage : Hodei Berasategui

Étalonnage : Lény Lecointre

Photographie de plateau : Théa Giglio

Artiste multidisciplinaire pratiquant la vidéo, la sculpture et l'installation, Thomas Liu Le Lann s'est formé à l'École des Beaux-Arts de Nantes, puis à la HEAD – Genève, Haute école d'art et de design. Sa biographie prouve qu'il a rapidement été repéré par le réseau de l'art contemporain, égrainant déjà de nombreuses expositions personnelles et collectives, en Suisse et à l'international. Il est par ailleurs cofondateur d'un artist run space, Cherish, situé à Genève.

Quel que soit le médium utilisé, certaines constantes se retrouvent dans tout son œuvre, à commencer par sa forte imprégnation autobiographique et une indéniable connotation sensuelle. L'artiste puise dans les textes qu'il écrit quotidiennement – mais qui, à ce stade, ne sont pas publiés – et qui fonctionnent à la fois comme un journal intime et comme un réservoir d'idées pour les œuvres à venir. L’ensemble de son travail relève de l’autofiction, avec de longues dérives vers la fiction et la poésie.

Les matériaux qu'il privilégie font, quant à eux, appel aux sensations corporelles. Il a débuté son travail de sculpteur en employant le textile, expliquant que, venant de la performance, c'était pour lui un moyen de rester proche du langage du corps. Le verre soufflé se retrouve également dans plusieurs de ses pièces. Doux ou fragiles, les matériaux choisis entrent parfois en contradiction avec les sujets, matérialisant des formes d'insuccès, où la masculinité est souvent interrogée.

Pour la Maison Suisse, Thomas Liu Le Lann propose une vidéo de 22 minutes, intitulée « Gym », qui passe en boucle, et dans laquelle il présente facétieusement la figure de l'amateur, en contradiction évidemment avec le professionnalisme et les performances attendues des athlètes participant aux Jeux Olympiques. On y découvre une succession de tableaux, situés dans un gymnase. Les scènes avec personnages alternent avec des plans sur la salle bleu pastel, très picturaux, ou sur des anneaux suspendus, qui sont très sculpturaux. Les personnages sont habillés de vêtements professionnels, qui n'ont rien à voir avec le sport, ce qui met déjà à mal leurs compétences et questionne également la relation de l'habillement avec les codes convenus. Ils et elles se préparent à l'apprentissage du badminton, discipline choisie en raison de son aspect générique, peu connoté et peu genré.

Cette préparation passe par la méditation, le reiki, les massages lymphatiques et la contact improvisation. Les mouvements, non conventionnels, sont chorégraphiés par Arttu Palmio, façon pour Thomas Liu Le Lann de renouer avec la danse, dont il vient. Filmés sur toute une journée, les corps des performeurs et performeuses s'expriment également dans des moments de repos et d'ennui, fatigués et lascifs, comme le sont les « soft heroes », des poupées molles que l'artiste introduit dans son travail depuis 2018. Toutes les images ont été filmées avec des iPhones. Textures, matières et couleurs ont ensuite été accentuées pour produire une esthétique bien distincte de celle des diffusions sportives. Cependant, le montage s'inspire de ce type de reportage, notamment lorsque l'image se divise en plusieurs parties, correspondant à différents points de vue. Et l'écran LCD géant sur lequel la vidéo est diffusée fait également un clin d'œil à ceux des rediffusions sportives en extérieur.

Ainsi, cette vidéo déconstruit avec humour le modèle du sport, pour le ramener à une dimension moins héroïque et plus sensible.

Les oeuvres sont proposées et soutenues par la République et canton de Genève, en collaboration avec Présence Suisse, dans le cadre de la Maison Suisse à Paris pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.

Diane Daval, responsable du Fonds cantonal d'art contemporain de Genève